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Cédric-à-brac
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2 décembre 2012

BLONDE VENUS (LECTURE)

     C'est un message tout à fait particulier que je m'apprête à vous faire lire. En effet, Laura Sadowski, auteure déjà connue de "L'affaire Clémence Lange", " L'origine du sexe", " La géométrie du tueur" et "La peur elle-même", m'a fait l'immense honneur de m'adresser ses derniers écrits afin que je les poste sur mon blog.

     Amis lecteurs, vous allez donc avoir la chance de découvrir en exclusivité une nouvelle intitulée "Blonde Vénus." D'autres suivront, mais comme pour un bon thriller, le suspense est de rigueur, alors soyez patients. Pour les plus curieux, Laura les a également publiées sur son blog (un lien est disponible sur ma page d'accueil).

     Dans une société où nous courrons toujours après le temps, lire une nouvelle est une réponse tout à fait adaptée pour les amoureux de la lecture.

     Alors en ce dimanche un peu froid, préparez-vous un café ou un chocolat, glissez-vous sous la couverture et plongez dans l'univers Sadoswkiesque (tiens, c'est pas facile à prononcer). Bonne lecture et n'hésitez pas à commenter! L'avis des lecteurs est important! (Ce blog a parfois tendance a manger certains mots lors de la publication. N'hésitez pas à me signaler les petites incohérences si incohérences il y a...).

 

Laura Sadowski 

"Blonde Venus"

(dépôt légal)

Droit d'auteur :

Les textes et les photographies de ce blog sont protégés par le droit d'auteur conformément au Code de la propriété intellectuelle. Il est strictement interdit de les reproduire, en tout ou en partie, sans autorisation de l’auteur.

 

****

"BLONDE VENUS"

                                                                                      Pour Betty

        

            Son nom était Tery Dalle mais on l’appelait Blonde Venus. Elle avait la voix de Marlène Dietrich quand elle chantait « Lili Marlene ». Une patrouille de la circulation l’avait retrouvée flottant au bord de la rivière, son corps retenu par les joncs. Elle avait dérivé sur un demi-mile depuis le pont métallique qui franchit le cours d’eau à la sortie de la ville. Je l’ai immédiatement reconnue à ses cheveux blond platine qui remuaient au gré du courant. Je m’appelle Mathew Leuck et je suis flic dans la ville de Dalhart, comté de Dallam.

            J’étais en train de me raser lorsque le policier Lou Benson m’a appelé pour venir faire les constatations avant la levée du corps. Il m’a dit : « Ça m’a tout l’air d’un suicide, Lieutenant » dans un sanglot qui lui noua la gorge. Blonde Venus était chanteuse au« Plaisirs d’Amour », l’unique boîte de strip-tease de la région. Elle était effeuilleuse aussi, mais je crois que ce n’est pas ce qu’elle aurait voulu qu’on retienne d’elle.

            Dix minutes plus tard j’étais sur le pont et c’est de là que j’ai aperçu son corps et la tache jaune de ses cheveux dans la lumière grise d’un matin de novembre. Ça m’a fichu un coup de la voir morte : cette fille avec sa voix grave et chaude m’avait plus d’une fois saisit aux tripes.

            Les policiers avaient retrouvé, rangés contre la balustrade, ses chaussures, son sac à main ainsi que son tube de rouge à lèvres. L’agent Benson me les montra tout de suite en précisant que son collègue et lui n’avaient touché à rien. En effet, selon toute vraisemblance c’était un suicide. Cependant, je trouvais que quelque chose clochait dans ces objets abandonnés derrière soi.

            Je m’accroupis devant les affaires de Blonde Venus et les examinai. Qu’elle ait retiré ses chaussures avant d’enjamber le garde-corps, ça paraissait normal. Qu’elle ait pris soin de les disposer l’une à côté de l’autre, tout contre son sac à main n’avait rien d’étonnant non plus. C’est un réflexe de suicidé que de mettre de l’ordre dans ses affaires avant de partir définitivement. Mais qu’elle se soit maquillée une dernière fois avant de faire le grand saut, ça ce n’était pas banal !

            Ceux qui connaissaient bien Blonde Venus n’auraient peut-être pas été surpris à ma place. Possible qu’elle ne retirait pas son maquillage et sa perruque blonde lorsqu’elle faisait commerce de ses charmes. Je ne sais pas. Je n’ai jamais été client parce que je n’ai jamais pensé qu’une femme se vendait autrement que contre son gré. D’ailleurs, est-ce qu’on pouvait dire dans leur cas qu’ils la connaissaient bien ? Des cils chargés de mascara, des yeux soulignés au crayon, des lèvres rouge sang ne disent rien sur la vérité d’une femme.

            Toujours est-il que j’ai pensé que quand on décide de se supprimer en se jetant dans les tourbillons d’une rivière, on ne sort pas de son sac à main son bâton de rouge pour se peindre les lèvres. Mais ce n’était qu’une supposition pas un indice.

            C’est alors qu’une pluie fine serrée s’est mise à tomber. Sans un mot le policier Benson a retiré son ciré et l’a déployé au-dessus des escarpins, du sac à main et du rouge à lèvres pour les protéger de l’eau. Il ne préservait pas des pièces à conviction, c’était plus intime que ça : il les abritait d’une profanation. Il tendait au bout de ses bras son vêtement qui claquait au vent et il pleurait, essuyant avec sa langue les larmes qui coulaient jusqu’aux coins de sa bouche.

            - Vous l’aimiez bien ? dis-je doucement.

            Il hocha la tête sans pouvoir parler : il se retenait pour ne pas éclater en sanglots. Il faisait plus que bien l’aimer, il en était amoureux. Comme la plupart des types qui fréquentaient le « Plaisirs d’Amour ». Je m’appuyai alors à la balustrade et criai à son collègue et à mes hommes de sortir le corps de l’eau. Je me serais presque excusé auprès de Benson de ne pas l’avoir ordonné avant. En retirant ma main du garde-fou, la manche de mon blouson accrocha une vis qui s’était avec le temps desserrée. En voulant la décrocher, j’aperçus sur la poutre en saillie, qui scellait les balustres, une tache brun rouge qui faisait penser à du sang. Je me penchai pour mieux l’examiner, la pluie était en train de la délaver. Je paniquai. La tache était récente, elle pouvait appartenir à la scène de crime. Aussitôt je criais aux hommes de vérifier si la victime portait la marque d’une blessure. Je les voyais sur l’autre bord manipuler le corps et je trouvais qu’ils étaient longs à répondre. Pendant ce temps, la pluie effaçait la trace.

            - Bordel de merde ! hurlai-je. Vous allez me dire !

            Exaspéré par leur lenteur, j’arrachai le ciré des mains de Benson et tentai de le nouer aux barreaux de fonte pour protéger l’indice mais le vent le fit claquer furieusement et l’emporta dans la rivière. Je vis le vêtement être aspiré par un tourbillon puis recraché avant d’être englouti de nouveau. A cet instant j’eus devant les yeux l’image du corps de Blonde Venus, son beau corps de danseuse, être avalé de la même manière puis rejeté dans les touffes de joncs.

            - Oui, Lieutenant !... A la tête !

            Je levai les yeux :

            - Quoi à la tête, Sergent ?

            Il mima avec le tranchant de sa main une coupure à l’arrière du crâne :

            - Une entaille !..., dit-il. On l’avait pas vu tout de suite à cause de la perruque !

            Je lançai un coup d’œil au radier puis à la poutre avant de passer une jambe par-dessus la balustrade. Mes adjoints et le collègue de Benson me crièrent d’arrêter, de ne pas faire ça, que c’était dangereux. Tous s’époumonèrent, excepté Benson. Mais à ce moment-là je ne faisais pas attention à lui. Je cherchais à savoir si, en enjambant le pont, on pouvait valablement se heurter la tête contre la poutre avant de tomber dans l’eau.

            Les lois de la physique voulaient que ce fût impossible. Le garde-fou était à hauteur d’appui : il fallait basculer, tête en avant, dans le vide pour faire le grand plongeon. C’était un homicide. Je courus à ma voiture et décrochai la radio. Et tandis que j’appelais le commissariat afin qu’on dépêche au plus vite le médecin-légiste, je remarquai que Benson examinait à son tour la tache de sang. Il paraissait non plus bouleversé, mais affolé. Il devint mon premier suspect dans le meurtre de Blonde Venus. 

***

            Le médecin-légiste de notre ville était aussi son vétérinaire. En matière de cadavres, le Doc connaissait sacrément son boulot. La morgue se trouvait dans sa clinique. Je m’y pointai deux heures après la levée du corps et le relevé des indices. Malheureusement, l’eau de pluie avait lavé la tache.

            - J’ai pas fini ! aboya-t-il.

            Il était penché au-dessus de la dépouille de Tery Dalle, reniflant car son nez coulait. Il essuya la morve sur la manche de sa blouse blanche et répéta :

            - J’ai pas fini ! Repassez ce soir, Leuck !

            J’étais plus têtu que lui :

            - Je ne viens pas pour avoir vos conclusions mais seulement une confirmation.

            - Oui !

            - Oui, quoi ?

            - Elle a vraisemblablement été tuée. Elle a reçu un coup à l’os occipital avec un objet tranchant mais la cause du décès est l’asphyxie par noyade. Elle a de l’eau dans les poumons.

            Je m’approchai de la table de dissection. Ça faisait bizarre de voir Blonde Venus sans sa perruque. Elle avait en réalité les cheveux noirs.

            - Est-ce qu’elle a été… ?

            - Je n’ai pas encore regardé si elle avait subi des violences sexuelles, coupa le Doc. Je viens seulement d’ouvrir son thorax.

            Je préférai m’en aller, je n’aimais pas ce genre de détails.

            - J’ai eu des complications, vous savez !

            - De quel genre ? demandai-je pour lui être agréable.

            - Ses seins !

            - Comment ça ?

            - Tery Dalle avait des implants mammaires. Ils se sont déchirés. J’ai du silicone partout ! s’exclama-t-il en agitant ses mains gantées de latex.

            J’eus un haut-le-cœur.

            - Je repasserai, Doc.

            J’avais convoqué Lou Benson et son collègue au poste de police pour interrogatoire. Je les questionnai séparément. L’agent Benson avait un alibi en bêton pour le soir du meurtre : il avait patrouillé toute la nuit. Son coéquipier le confirma. Ils avaient pris leur service à 20 heures et ne s’étaient jamais séparés jusqu’à la découverte du corps. Le relevé de leurs interventions et les appels qu’ils avaient passés au central corroboraient leurs dires. Je laissai partir le coéquipier mais gardait Benson. Son attitude sur le pont m’intriguait toujours.

            - Pourquoi est-ce que vous avez été pris de panique lorsque vous avez aperçu la tache de sang ? C’est vous qui l’avez balancée par-dessus le pont ?

            - Non ! se récria-t-il. C’est la vue de l’eau qui m’a fait flipper. J’ai peur de l’eau. Je ne sais pas nager. Tout le monde vous le dira.

            C’était plausible. Mais je continuais à chercher la petite bête parce que je trouvais que sa réaction lorsque j’avais enjambé le garde-fou n’avait pas été normale. Contrairement aux autres, il ne m’avait pas empêché de faire une chose aussi insensée.

            - Vous dites que vous avez une terreur de l’eau. Pourtant vous n’avez rien fait lorsque j’ai passé la jambe par-dessus la balustrade. J’aurais pu tomber dans la rivière et me noyer.

            - Justement, répondit-il sans dérober son regard. J’étais pétrifié de peur qu’un tel accident arrive. Je ne parvenais pas à desserrer les dents.

            Je le dévisageai avec perplexité : si Lou Benson mentait, il le faisait foutrement bien.

            - Depuis quand connaissiez-vous la victime ?

            - Depuis qu’elle est arrivée en ville. Il y a deux ans.

            - Vous avez déjà sollicité ses faveurs ?

            - Oui… Non !

            « Je le tiens ! » ai-je pensé.

            - C’est oui ou c’est non ? L’avez-vous payée en échange de pratiques…

            - Non ! cria-t-il, éperdu.

            Sa véhémence me surprit. En effet, la moitié des flics de la ville allaient au « Plaisirs d’Amour » et s’en vantaient.

            - Notre entretien restera confidentiel, avançai-je. Si vous n’êtes pas impliqué dans cet homicide tout que vous me direz ne sortira pas de cette pièce.

            - C’est ça !..., coupa-t-il. Je redoute que ma femme l’apprenne.

            Quelle étrange réponse ! On aurait dit qu’il rebondissait sur ma remarque pour fournir une excuse à son mutisme. L’agent Lou Benson avait un secret qu’il désirait farouchement garder. Mais je n’avais aucun moyen de l’obliger à me le révéler ; je n’avais rien contre lui. Je le laissai partir à contrecœur.

            Je filai ensuite au « Plaisirs d’Amour ». Mon premier suspect n’était peut-être pas franc du collier mais ce n’était pas lui le coupable. J’espérais qu’une petite descente dans la boîte où se produisait Blonde Venus me permettrait de me lancer sur les traces du véritable assassin.

 

            Le patron des lieux manqua de tomber dans les pommes lorsque je lui appris le décès de sa strip-teaseuse.

            - C’était mon meilleur produit maison ! s’exclama-t-il en s’éventant avec le journal qu’il était en train de lire.

           Je ravalai ma salive. Je me suis dis que je lui cracherais à la figure lorsque j’aurais fini de l’interroger. A l’instar de tous les tauliers lorsqu’il y a une enquête dans leurs établissements, le patron de Blonde Venus ne savait rien. Il n’avait rien vu, rien remarqué de spécial la veille au soir. Et sa strip-teaseuse ? Elle était comme d’habitude. Elle a chanté, elle a dansé, a fait l’hôtesse dans la salle. Non, il n’y avait pas eu d’incident, la soirée avait été plutôt calme.

            - Est-ce qu’elle est partie avec un client ?

            - Ça, je ne saurais vous le dire ! protesta-t-il. Je suis entrepreneur, pas proxénète.

            A d’autres, mon salaud ! Le jour où tu ne compteras plus le maire de la ville parmi tes clients, je viendrai mettre mon nez dans tes sales combines.

            - J’aimerais visionner les bandes de vidéosurveillance d’hier soir, demandai-je sur un ton sec.

           Il poussa un profond soupir, se mit à s’éventer tout en dodelinant de la tête. Alors j’ajoutai :

           - J’aimerais les visionner au nom de la loi.

           Il me conduisit en traînant des pieds dans son bureau, tout en stuc rococo et fausses dorures, mais insista pour y rester avec moi. Je n’avais pas mandat, j’ai donc acquiescé.

           La soirée que le patron avait qualifiée de « calme » avait été en réalité assez glauque. Sur les vidéos, on voyait une vingtaine de clients entrer, s’attabler devant une bière ou s’accouder au ring aux pieds des topless, regarder leurs numéros, vider leurs pintes et ressortir. Des camionneurs pour la plupart, sûrement venus du Nouveau Mexique et qui ne faisaient que traverser la ville pour se rendre dans le sud de l’état. Je priais pour que le meurtrier ne fût pas l’un d’eux car il allait être difficile de l’identifier. Appeler tous les transporteurs, pister tous les camions, éplucher tous les tickets des péages, faire toutes les stations service de l’état… allaient être un boulot titanesque. Je n’avais que deux hommes sous mes ordres.

           Pendant que les gars descendaient leurs bocks, trois filles se sont succédé sur le ring pour se déhancher et se déshabiller sans enthousiasme. Elles agitaient leurs poitrines et s’enroulaient autour des colonnes en aluminium avec des sourires forcés et des regards absents.

            - Où est Blonde Venus ? Je ne la vois toujours pas.

            - Attendez ! Elle va venir. Je la réserve… je la réservais pour la dernière partie de la soirée. Ça retenait le client et pendant ce temps-là, il consommait. (Il passa la main sur son front) Mon Dieu ! Comment vais-je faire pour remplacer une fille pareille !

            Le regard que je lui lançai le fit réagir :

            - Ne prenez pas cet air de vertueuse répulsion avec moi ! Si les gens viennent chez moi c’est parce que je leur offre du plaisir. Je ne fais rien de mal. Il n’y a pas que des voyeurs parmi mes clients, vous savez ! Il y a aussi des femmes. Il y en a même qui viennent en couple.

            Je ne commentai pas. Lui parlait des clients, moi je pensais aux filles. Soudain Blonde Venus apparut à l’écran. Les clients se mirent à l’applaudir et à siffler, deux doigts dans leurs bouches. Elle avait un micro à la main et j’eus envie d’entendre une dernière fois sa voix de Marlène Dietrich.

            - Y’a pas le son, me répondit laconiquement le patron.

            Elle chanta peut-être deux ou trois chansons, elle avait l’air heureuse de voir qu’on se levait pour l’applaudir. Sa joie disparut de son visage et de ses yeux lorsqu’elle entama son numéro d’effeuilleuse. Je le passai en accéléré parce que je repensais à ses seins en silicone qui avaient éclaté sous le scalpel du médecin-légiste. Le patron crut à de la pudeur de ma part car il s’exclama :

            - Vous fatiguez pas ! Elle ne faisait pas le nu intégral.

            Lorsque Blonde Venus descendit du ring pour aller faire l’hôtesse dans la salle, un homme grand, massif, la quarantaine, avec une tonsure la retint. On aurait même dit qu’il l’empêchait de passer. Ce qui m’intéressait dans cette scène que je repassais plusieurs fois, c’était que l’inconnu ne cessait, tout en parlant, de porter la main à sa ceinture pour tripoter un couteau de chasse dans son fourreau qui y était accroché. L’étui, en peau de chamois ou de daim, avait des franges et ressemblait à ceux que portent communément les Comanches de la réserve indienne au nord.

            - Je ne sais pas qui c’est, dit le taulier. Mais c’est pas un Indien. Il est venu quatre ou cinq fois mais n’a pas fait de chambard. Il en pinçait pour Blonde Venus parce qu’à deux reprises il a payé gros pour qu’elle lui joue son spectacle en privé dans la chambre rouge.

            - C’est quoi cette chambre ? demandai-je hargneux.

            - Ce n’est rien d’autre qu’une pièce avec un canapé de velours rouge et un tapis rouge, protesta-t-il. On n’y fait rien d’illégal. Un client peut demander à ce qu’une fille lui fasse son numéro de strip-tease pour lui tout seul. Je n’encaisse que 50% de la prestation.

            Je contemplai Blonde Venus en compagnie de cet homme sur l’image arrêtée, et je me suis dis qu’hier au soir elle n’avait peut-être pas voulu aller avec lui dans la chambre rouge. Je demandai à la voir. En réalité, c’était une pièce exiguë qu’un néon éclairait crûment. Le canapé était une banquette et le tapis une grande carpette. On y faisait pas que danser dans cette chambre, j’aperçus sur le rebord de la fenêtre un étui de mouchoirs en papier.

            Comment retrouver ce type ?

            - Et personne d’autre dans la boîte ne le connait ? Un serveur, un client, une des filles ?...

            - Il ne parlait à personne. Il ne venait que pour reluquer Blonde Venus.

            - J’emporte la bande de vidéosurveillance, dis-je en le quittant. Restez à la disposition de la police pour une identification.

            Sur le trottoir, j’appelai Karen French du département du FBI à Amarillo pour lui soumettre le cas de mon bonhomme. J’étais dans une impasse, j’avais besoin d’un coup de main d’une criminologue. Elle suggéra que l’homme devait être ranger ou forestier dans la réserve indienne. Mais que de toute façon son étui en peau de bête ne prouvait rien.

            - Mais elle referme l’arme du crime ! C’est avec ce couteau qu’il lui a ouvert le crâne.

            - C’est une supposition. Ça ne sera pas suffisant pour obtenir un mandat de perquisition du juge.

            - Tu proposes quoi ?

            Elle m’expliqua que l’homme était sûrement un fétichiste pour avoir ainsi disposé les affaires de la victime sur le pont après avoir jeté son corps dans la rivière. Par conséquent, il y avait des chances pour qu’il revienne sur les lieux afin de revivre son crime et s’en repaître. Je devais m’embusquer et l’attendre comme l’animal qu’il était.

            Je fis ce qu’elle conseilla. Je planquai le soir même. J’avais à peine commencé ma surveillance que je reçus un appel radio du central. Le légiste cherchait à me joindre pour me remettre les conclusions de l’autopsie. Il avait quelque chose d’incroyable à me révéler concernant le cadavre repêché. J’avais coupé mon portable pour m’approcher silencieusement de l’assassin. « Dites au Doc que je passerai le voir demain matin ». Je coupai la radio également.

            Mon gibier vint à peu près à l’heure supposée de la mort de Blonde Venus. Il caressa longtemps l’endroit où il avait placé les escarpins, le sac à main et le tube de rouge à lèvres. Puis il se pencha par-dessus la balustrade pour contempler les remous qui avaient happé sa victime. Il jouissait de nouveau de ce qu’il avait fait. Je n’aurais pas été flic, je le balançais à mon tour dans l’eau froide.

           Je l’arrêtai pour stationnement illégal sur le pont. Il me ria au nez.

           - Ça va pas chercher plus loin qu’une contravention, lança-t-il. Je porterai plainte pour arrestation arbitraire.

           - Sauf si vous avez un casier judiciaire, répliquai-je au hasard. Vous en avez un ?

           Il blêmit. J’avais vu juste. J’avais surtout eu du bol.

           - Allez ! Mets gentiment les mains derrière le dos et touche pas à ton poignard.

           Marshall Tyler, qui se faisait appeler « Davy Crockett », avait un casier long comme le bras. Il avait notamment tailladé avec son couteau la joue d’une Comanche qui s’était refusée à lui. Karen analysa son arme : entre le manche et la lame, elle avait retrouvé du sang appartenant à Blonde Venus. C’était suffisant pour envoyer son meurtrier derrière les barreaux pour le restant de ses jours.

           - Pourquoi tu l’as tuée, lui demandai-je durant son interrogatoire. Tu n’as pas supporté une fois encore qu’une femme te dise non ?

           Il ricana :

           - C’était pas une femme.

           - Comment ça ?

           - C’était pas une gonzesse. C’était un homme qui avait des seins. J’ai pas supporté de m’être fait avoir alors j’ai tué cette… cette chose.

            Je restai interloqué. Blonde Venus un homme ! Je n’avais jamais vu de ma vie une femme aussi femme pourtant. La plus belle voix de femme que j’ai jamais entendue. Dans le même temps je comprenais pourquoi l’agent Lou Benson était terrifié à l’idée qu’on apprenne qu’il avait été amoureux d’un homme. Son secret c’était une attirance. D’ailleurs j’ai toujours pensé que c’était une attirance semblable qui avait poussé Tyler à assassiner Blonde Venus et pas, comme il l’a prétendu jusque durant son procès, parce qu’il avait eu l’impression qu’il avait été dupé. Car comment expliquer autrement qu’il ait maquillé ses lèvres avant de la noyer ?

           Pour les besoins de l’inhumation on a découvert que Blonde Venus s’appelait Terence Dalle. Mais sur sa pierre tombale on a fait graver : Blonde Venus.

***

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Commentaires
B
C'est magnifique cet habillage,la photo est superbe.De plus la nouvelle est très très bien écrite.Bravo à ce blog et à Laura!
L
... "un supplément d'âme au texte" (bien sûr).
L
Tout l'honneur est pour moi. Merci pour la présentation de cette nouvelle, et pour l'habillage (magnifique !) qui donnent un supplément au texte.<br /> <br /> Laura S
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